15 Mars 2018
Je ne sais pas au juste combien nous étions, plus d’un millier en tout cas, qui défilaient dans les rues d’Evreux. Assez peu d’oriflammes, mais beaucoup de cheveux blancs, de cheveux gris, de sacs à dos et des chaussures de marche. Les manifestants de mai 68, avec cinquante ans de plus.
Mais ce n’était pas un monde nouveau que nous défendions cette fois. C’étaient nos retraites et surtout, en tout cas je l’espère, les EHPAD, ces lieux que l’insuffisance de moyens transforme trop souvent, au grand dam de celles et ceux qui y travaillent, en une morne salle d’attente pour le dernier train.
Le monde nouveau, il paraît que c’est aujourd’hui un certain Macron qui prétend le mettre en marche.
Mais Monsieur Macron n’est pas vraiment un ancien soixante-huitard, et son monde nouveau n’est pas exactement celui dont nous avions rêvé. C’est plutôt un monde désespérément individualiste où l’on taxe des « riches » à 1200€ par mois pour donner de l’aisance et, paraît-il, l’envie d’investir à des « premiers de cordée » pourtant déjà milliardaires. Et si un de ces « riches » à 1200€ dénonce cet état de fait, c’est qu’il est jaloux.
Voilà le monde nouveau de monsieur Macron. Il ressemble bien fort à un monde très ancien au contraire, celui qui a conduit à la Révolution Française, les privilèges inclus, les titres de noblesse en moins.
Moi qui dispose d’une retraite plus confortable que les 1200 euros « réglementaires », cela ne me gêne pas d’être « ponctionné » d’1,7% de CSG supplémentaire en plus des impôts que je paie déjà. Il est besoin en effet d’un gros effort social, et je trouve que cette ponction que l’on fait sur ma retraite relève de la plus élémentaire des solidarités républicaines… Mais je suis scandalisé en revanche que cet argent vienne compenser les réductions considérables d’impôts que l’on consent dans le même temps à ces fameux « premiers de cordée » multimillionnaires. Je suis scandalisé qu’il ne soit pas plutôt utilisé pour notre jeunesse, celle qu’une députée du clan Macron fustigeait parce qu’elle « pleurait pour cinq euros par mois ». Je suis scandalisé qu’il ne soit pas utilisé plutôt pour permettre aux personnels des EHPAD de prendre plus de temps avec les résidents et de préserver leur dignité.
J’ai lu à ce propos dans la Dépêche de vendredi dernier que l’on projetait de « bunkériser » des maisons de retraite à Evreux. Clôture de deux mètres, contrôle d’accès par interphone- vidéophone. La totale ou la presque totale. Ne manquent que les miradors nous dit l’article.
On ne voudrait donc plus à Evreux de mixité générationnelle, ou alors une mixité strictement contrôlée. On préfèrerait « enfermer » les vieux, et ne seraient plus autorisés à les visiter que les familles et quelques férus d’ethnographie qui auront montré patte blanche.
D’autres bourgs pourtant ont parfois installé leur bureau de poste dans l’enceinte de leur maison de retraite pour permettre précisément que les résidents continuent de vivre dans la vraie vie, avec de vrais gens qui passent et qui parfois s’arrêtent.
Je ne sais pourquoi Evreux préfère, à l’inverse, « résidentialiser ». J’espère juste qu’il ne s’agit pas que du souci d’améliorer la productivité des agents qui ont en charge des résidents de plus en plus dépendants. Si c’était le cas, il faudrait alors rappeler à ceux qui ont cela en tête que « le quatrième âge » n’est pas une matière d’œuvre. Ce sont des femmes et des hommes qui ont besoin de soins mais qui ont aussi terriblement besoin d’humanité.
Et s’il faut pour cela recruter davantage dans les EHPAD, alors recrutons… Les 1,7% de CSG que l’on ponctionne aux retraités seront là beaucoup plus utiles que dans les poches de quelques milliardaires qui devraient n’en avoir que faire… Et pourtant !