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Dans la fadeur d'un conseil municipal, l'été

Ma chère Elise, 

Il y avait bien longtemps que je n’avais assisté en vrai au conseil municipal d’Evreux et j’ai décidé de m’y rendre hier soir. 

 Très vite, la nostalgie a fait place à l’étonnement. Et l’étonnement à l’ennui. 

Nostalgie devant ces quelques anciens, de la majorité ou de l’opposition, qui ont manifesté le plaisir de me revoir. L’un d’eux m’a même adressé un bref hommage public au moment du compte administratif. Et, comme à chaque fois que l’on me complimente, j’ai pris cet air bourru que tu connais et dont je caparaçonne d’ordinaire mes sentiments.

Etonnement face au calme de l’assemblée qui a expédié ses premières délibérations, comme dans un demi-sommeil, et qui est entrée de même dans le cœur du sujet du soir, le compte administratif de l’exercice 2021.

Ce n’est pas rien pourtant dans la vie d’une commune que ce rapport qui étudie la réalité de l’exécution du budget. Il ne suffit pas en effet de proclamer en début d’année tout ce que l’on fera. Encore faut-il le réaliser. Et c’est précisément ce que mesure le compte administratif.

Pourtant l’assemblée continuait de somnoler au rythme de la lente mélopée de l’adjoint aux finances, reprise par deux orateurs successifs qui, sur le même ton, ont décliné leurs remarques, leurs accords et leurs désaccords.

C’est être un virtuose de l’éloquence que déclamer ainsi à voix basse tout un argumentaire budgétaire.

Mais je n’en ai pas retenu grand-chose et je n’en dirai donc rien. Je serai d'autant plus prudent qu’en 2021, le budget finissait de subir les cahots de la crise sanitaire et qu’il allait bientôt être confronté à ceux de l'inflation. Cela en rend l’analyse difficile et n’autorise guère les jugements péremptoires.

Seule, la dette de la ville a commencé d’éveiller un peu les esprits, comme on passe du sommeil profond à un sommeil paradoxal dont on ne peut contrôler le foisonnement des images.

Cette dette, la majorité marmonnait qu'elle n'allait pas tarder à la réduire quand l'opposition en susurrait la croissance catastrophique.

Au moins, les deux semblaient-elles d'accord sur le poids pour l’avenir des 92 millions d'euros de son encours, soit 1900 euros par habitant. Souviens-toi ma chère Elise que, par comparaison, dans le dernier compte administratif dont j’ai eu la responsabilité, elle ne pesait qu’un peu plus de 80 millions. Et la dénonçaient alors à grands cris ceux qui, actionnant désormais les leviers de la ville, l’ont menée au-delà des 90 millions, tout en promettant chaque année le grand désendettement. 

Puis ce fut l’ennui de la succession des comptes annexes et du budget supplémentaire. Un ennui mâtiné de rage. J’avais envie de siéger à nouveau. Envie que l’assemblée sursaute enfin, que deux ou trois conseillers qui profitaient du moment pour rédiger leur courrier en raturent leur prose ou que leur plume ne la couvre d’un pâté.

Cette rage a atteint son paroxysme à la présentation du budget supplémentaire. La mélopée contait alors, comme une évidence, l’explosion des crédits nécessaires au financement de la dépense de gaz et d’électricité de la cité.

Je me suis pris à songer aux appels à la sobriété énergétique dont le dernier datait de la veille et qui défendent les générations futures et s’inscrivent aussi en solidarité avec l’Ukraine.

J’ai imaginé Démosthène, ou peut-être était-ce Caton l’ancien, se glissant dans le corps et la voix d’un conseiller de l’opposition, ou même de la majorité. Il s’est mis à plaider avec force l’extinction de lampadaires ou de vitrines, réveillant le conseil et l’ouvrant à un large débat. Il racontait des combats à venir et des solidarités citoyennes. Il cherchait des solutions, il proposait, emmenant avec lui l’ensemble du conseil dans un remue-méninges fantastique.

Mais je suis bien vite sorti de ce songe. Démosthène a soudain baissé la voix et pris le visage du maire pour clore la séance.

La mélopée s’est éteinte me laissant le goût d’un conseil sans histoire ni saveur. Un conseil municipal fade et somnolent comme se taisent et somnolent les démocraties avant que …

Bien à toi.

 

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