20 Mai 2019
- Tu votes Macron ou tu votes Le Pen, toi ?
La question, posée entre la poire et le fromage en ce dernier dimanche avant l’élection européenne me prend de court. Débordé par le quotidien et excédé de ne plus entendre aux infos que des appels à faire barrage à l’extrême droite ou, à l’inverse, à partager les postures d’un Salvini fier de rejeter les migrants à la mer, j’ai fini par couper le son de ma télé et de ma radio et j’ai fait semblant d’oublier le vote de dimanche prochain.
- Et la dernière fois, reprend la petite voix, tu as voté Macron ou Le Pen ?
- J’ai voté Hamon au premier tour et j’ai fait la bêtise de voter Macron au second, répliquai-je.
- Tu aurais préféré voter Le Pen, insiste la petite voix ?
- Mais non. C’aurait été une énorme bêtise aussi.
- Alors tu n’aurais pas dû voter !
- C’aurait été tout autant une énorme bêtise et, entre trois bêtises, j’ai voulu choisir la plus petite. Renoncer à voter, c’était renoncer à la démocratie. Voter Le Pen, c’était condamner la démocratie. Voter Macron, c’était lui donner un tout petit sursis avant qu’il ne la fasse écraser totalement par la puissance d’intérêts privés.
J’ai dû être bien docte ou peut-être juste un peu ennuyeux parce que la petite voix se tait et, moi, je me réjouis de l’avoir enfin muselée. Je ne vais tout de même pas me laisser harceler par une graine de Jiminy Cricket, aussi adorable soit-elle. C’est que j’ai une conscience politique moi et je ne suis pas n’importe quel Pinocchio qui zigzaguerait d’écoles en écoles en autant d’aventures buissonnières.
- Mais dimanche alors, tu votes pour Macron ou pour Le Pen, reprend la petite voix.
Finalement Jiminy Cricket est plus tenace que je ne croyais.
Il me faut lui dire que ce sont des élections pour le parlement européen et non pas une nouvelle présidentielle ; que ni Macron, ni Le Pen n’y sont d’ailleurs candidats ; que ce ne sont pas deux listes, mais trente-quatre listes qui sont en compétition pour dimanche et que, même s’il en est de confidentielles, pour ne pas dire de fantaisistes, d’autres méritent qu’on les examine de près ; que si les sondages réduisent l’élection à un duel entre extrême-droite et techno-droite c’est sans doute un peu parce que les médias font l’opinion publique plus qu’ils ne la reflètent ; qu’à force de se diviser et de laisser nombre de ses ténors jouer les équilibristes avec ses convictions, la gauche a contribué elle aussi largement à ce désastre démocratique qui nous conduira dimanche prochain au taux d’abstention le plus lourd que notre pays aura connu.
- Sais-tu au moins, lançai-je alors à la petite voix, qu’il n’y a pas deux groupes au parlement européen, mais huit ? Que le plus gros ne compte aujourd’hui qu’un peu plus de deux-cents inscrits sur sept-cent-cinquante. Tu vois que les choses ne sont pas aussi simples que ce duel Macron-Le Pen qu’on veut nous vendre.
- Ça ne me dit toujours pas si tu voteras pour Macron ou pour Le Pen, réplique Jiminy Cricket
- Mais ce que je veux, moi, c’est que l’on commence vraiment à penser à la planète, c’est-à-dire aux enfants de demain et d’après demain et d’encore après. Ce que je veux, c’est que le monde ne continue pas à se transformer en une vaste scène où 10% de Riches regarderont, confortablement installés dans leurs loges, se débattre 90 % de Pauvres et les laisseront crever dans la misère.
Ni Macron, ni de Le Pen ne parlent de cela… Mais je l’entends à gauche en revanche, dans les discours de Jadot, de Glucksmann, de Hamon et d’autres encore, du Parti Communiste ou de la France Insoumise.
- Tu ne peux pas voter à la fois pour toutes les listes qu’ils représentent, murmure la petite voix. Il aurait fallu qu’ils s’entendent.
- Tu as raison. Il me faut choisir. Et pour ma part, cela ne t’étonnera pas, ce sera la liste que conduit Raphaël Glucksmann. D’abord parce qu’elle est le fruit d’une alliance, aussi petite soit-elle ; mais aussi parce que je ne déteste pas les écrits de Glucksmann ; et enfin parce que la plupart de ceux qui, au Parti Socialiste, pesaient pour le faire dériver à droite ont, depuis belle lurette à présent, quitté le navire pour rejoindre Macron. Je regrette que la Gauche n’ait pas su faire liste commune, et surtout nos trois larrons dont les discours sont si proches. Je ne désespère pas pourtant de les voir se rejoindre plus tard … Encore faut-il pourtant que les Macron et les Le Pen leur en laissent le temps et ne parviennent pas trop vite à définitivement stériliser la démocratie. Voilà qui dépend aujourd'hui de chacun de nous. Jamais, je crois, il n’aura été aussi important d’aller voter, et de le faire pour de bon, chacun en son âme et conscience, et sans se laisser distraire par un match Macron-Le Pen qu’on médiatise tellement qu’il en devient caricatural !