Sur l’horizon là où ciel et mer se dévorent
En blanches dentelles qui écorchent le bleu,
Déroulent des copeaux aux reflets langoureux,
Le bateau somnole, voile tombant dehors.
Mais ce vague chiffon, est-ce encore une voile
Qui fouette le flot, délaissé par les vents,
Abandonné aussi des quelques survivants
Affalés sur le pont à l’ombre d’une toile ?
Les corps enchevêtrés, les yeux brûlés de sel,
Les couleurs de la boue qui se mêle au brouillard,
La coque se fait tranchée, et les hommes vieillards.
Mais au fond brille encore une tache de ciel.
Son boubou a gardé les couleurs de l’azur.
Elle berce un enfant dont la tête dodeline
Et que la mort a peint de nuances opalines.
Elle égrène sa vie en un triste murmure.
Elle a rêvé l’occident, d’abord pour son enfant.
Elle a rêvé l’occident, le bonheur d’une pluie
Qui vous lave le corps et apaise les nuits.
Vivre enfin, vivre un monde moins étouffant.
Elle a bien trop souffert, et vendu sa jeunesse,
Accepté des caresses, des gestes dégradants,
Regard éteint, tête vide, serrant les dents
Dans les bras de soudards abusant sa détresse.
Elle ne pleure pas. Elle n’a plus de rêves.
A quoi bon arroser des fleurs déjà fanées.
Elle a moins de vingt ans et se sait condamnée.
Elle étreint son enfant et doucement se lève.
Noyé dans le flot l’azur se teinte d'iris,
Le boubou lentement sombre vers les abysses.
L'âme des migrants est-elle toujours bleu-océan ?