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Lettre à Elise, Il faut bien que tout change pour que rien ne change

Ma chère Elise,
Voilà bientôt deux mois que je ne t’ai pas écrit. Depuis que Claude Béhar est parti.
Je n’ai  pas quitté Evreux pourtant, sinon pour me rendre une fois ou l’autre chez l’une de mes filles. Mais je n’avais plus le goût d’écrire, pas même à toi.

Je ne sais si je dois lier ce creux dans l’écriture au vide désespérant de ma boite mail depuis que j’ai choisi de ne plus être élu, ou à celui de journées qui s’étirent monotones dans la tiédeur d’un automne qui s’approche, ou encore à celui des bulletins d’information qui ne savent plus parler que de la pandémie et qui en viennent à enfermer, en une sorte de confinement intellectuel, une partie de la population qui n’en retient que les alarmes. Et la voilà bien vite réduite à n’être plus qu’un ensemble dispersé de malades potentiels et qui ne prennent plus le temps de regarder au-delà de leurs masques comment se porte notre monde.


On nous parle bien un peu des réfugiés qui ne cessent de se réfugier ou de se noyer ou de brûler les bidonvilles où on les confine. On nous parle bien des incendies de Californie dont les fumées laissent leur trace jusque sur nos côtes, et de la répression en Bielorussie, ainsi que des provocations d’un Donald Trump qui m'évoque surtout, lorsque je vois sa moue menton levé, les mimiques d’un Mussolini. On nous raconte la forêt amazonienne qui brûle et la banquise qui fond… Mais tout cela est si loin, si loin… de l’autre côté des masques, de l’autre côté de l’écran.
 L’information que l’on retient aujourd’hui, parce qu'elle est bien ritualisée, c’est la litanie des chiffres de l’évolution de la seconde vague d’épidémie. C’est aussi celle des secteurs en difficulté, des emplois qui fondent aussi sûrement que la banquise, des entreprises qui ferment leurs portes et des milliards que l’on injecte pour sauver l’économie... Milliards bien miraculeux d’ailleurs et dont on préfère ne pas se  demander sur quel pari inavouable on les a adossés. Je ne perçois pas en effet de changement fondamental à venir dans la reprise économique qu'on nous promet.  Le monde d’après sera certainement le même que celui d’avant, mais en pire.
 Au nom du sacro-saint progrès nécessaire, juste pour que nous ne nous transformions pas en Amisch, nous allons recommencer et amplifier encore les "récompenses" à la création d’emplois… Et qu’importe si ce sont des emplois inutiles voire nuisibles en ce qu’ils ne feraient que surexploiter les ressources de la planète pour fabriquer de l’illusoire et de l’inutile. Qu’importe si, en corollaire, restent sans réponse des besoins essentiels et que notre jeunesse apprenne à consommer avant même de savoir lire, quand nos vieux devront apprendre, eux, à vivre longuement une agonie de plus en plus solitaire.

C’est que dans notre monde, celui d’avant comme celui d’après, c’est le nombre des emplois qui compte, pas leur utilité !


Sans doute me trouves-tu pessimiste ma chère Elise.  Et je reconnais que je trouve malgré tout à lire quelques rares articles qui  défendent la culture, la convivialité…  Ou le “vivre” tout simplement. 
Mais il y a face à eux le bulldozer des discours télévisés. Et je n’y sens pas le moindre souffle révolutionnaire.  Je n’y entends pas de ces utopies qui voulaient renouveler le monde à la fin des années 60. Je n’y entends pas davantage celles, plus documentées, que portait il y a peu un Benoît Hamon qu’aura écrasé le pragmatisme d’un Macron qui, lui, voudrait tout changer, mais juste pour que rien ne change. Tu reconnais là, bien sûr ma chère Elise, le trait désabusé du prince de Salina dans Le Guépard.  

Même localement, je n’entends pas plus rappeler les propositions généreuses d’un Vincent Breuil dont je t’ai souvent parlé durant la campagne des municipales. C’est qu’elles sont bien loin des préoccupations du maire d’Evreux, que Vincent Breuil est revenu à la “vie civile” et que Timour Veyri  s'occupe d'abord de son entrée au sénat… Quant à Guillaume Rouger, il a englué depuis longtemps son imagination dans le macronisme.


En tout cas, on ne se préoccupe pas dans les discours télévisés de regarder pour de bon la notion de revenu universel.  On préfère aussi faire semblant de ne pas voir qu’il est des biens essentiels qu’on ne peut continuer de laisser gérer par des intérêts privés.  On ferme aussi les yeux sur les accrocs que l’on fait sans vergogne aux politiques environnementales, au nom d’emplois qui ne sont souvent nécessaires que parce qu’on ne veut précisément pas de l’idée d’un revenu universel, et qui sont pour certains inutiles et parfois même absurdes en ce qu’ils produisent.

C’est que notre système économique, qui n’est conçu au fond que pour faire le bonheur de quelques grosses fortunes, a su très largement distiller ses valeurs en faisant dépendre d’elles des milliers de petits redevables, des milliers de petits actionnaires dont certains - je pense à ceux qui touchent des compléments de retraite de fonds de pension-  ne savent même pas qu’ils le sont ni surtout de quels secteurs économiques ils sont devenus dépendants. 
Et en diluant ainsi, ma chère Elise, la responsabilité du désastre à venir, le capitalisme a su verrouiller nos sociétés en y formatant jusqu’à leur pensée.
Bien à toi

.


 

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D
Merci
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voilà un mot qui me touche d'autant plus qu'il me vient d'une plume remarquable