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Lettre à Elise , Citoyens ou fidèles sujets

Ma chère Elise,

Lorsque j’ai appris la mort atroce de Samuel Paty, je suis resté abasourdi comme nombre de nos concitoyens. J’ai pensé à sa famille, à ses proches puis à l’ensemble des enseignants, ceux que je connais et tous ceux que je ne connais pas.

Comment peut-on s’en prendre à un homme dont le métier, l’engagement, vise d’abord à accompagner la jeunesse sur le chemin de sa liberté ?

Comment un encore presque gamin peut-il l’avoir condamné tout seul dans le petit tribunal étriqué de ses quelques croyances caricaturales, et comment a-t-il pu l’exécuter ensuite sans vergogne, voire avec la conviction mystique d’avoir ainsi fait justice ?

Mais était-il si seul finalement cet assassin ?

Combien de faux savants lui ont distillé goutte après goutte le venin de croyances qui substituent un ordre surhumain, immuable et rigide, à la grandeur humaine, pétrie de doutes et d’incertitudes mais de la conviction surtout que l’homme est d’abord un être social, que l’humanité ne peut traverser le temps qu’en étant solidaire, qu’elle est pleinement responsable d’elle-même et que cela lui confère, dans l’ensemble du vivant, une responsabilité particulière ?

Combien d’élus, dans notre France républicaine, laïque et si fière de ses Lumières, ont fermé les yeux sur quelques « débordements » et ont préféré, pour avoir un semblant de paix ou pour assurer leur élection, « aménager » la laïcité jusqu’à en menacer les fondements mêmes ?  Combien d’entre eux ont considéré que l’on dépensait trop pour l’école et ont tenté d’en contracter les budgets, oubliant que si l’école républicaine n’a plus les moyens de préparer la jeunesse à la citoyenneté, c’est à d’autres choses bien plus délétères que certains s’emploieront à la préparer ?

Peut-être au fond est-ce donc aussi parce que nous ne misons plus assez sur l’école comme lieu d’éducation et d’apprentissage de la citoyenneté, que Samuel Paty a été atrocement assassiné. Peut-être également parce que certains élus de la République, qui en tant que tels sont pourtant garants de la laïcité, se montrent, pour tout un tas de mauvaises raisons, prêts à tous les compromis avec le « religieux ».

J’ai sursauté par exemple, ma chère Elise, quand j’ai lu le communiqué de presse du maire d’Evreux.

C’est avec horreur et stupéfaction qu’il a appris, y écrit-il, l’assassinat de Samuel Paty.  Et le voilà pourtant qui commence, avant même de parler de la République et de la laïcité comme pilier du vivre ensemble, par affirmer sa propre croyance en dieu. Et de souligner son propre malaise quand il voit « la religion salie » ou dieu insulté.  

Bien sûr, il refuse dans le même temps que l’on se revendique d’une religion pour commettre un assassinat… Et qu’il commence par affirmer sa croyance en dieu n'est peut-être qu'une simple maladresse. 

Mais, maladresse ou pas, si même lui, en tant que maire d’Evreux garant de la laïcité, place d’abord le débat dans le champ religieux , comment s’étonner ensuite qu’un presque gamin de sa ville, issu d’un quartier dont on a d’ailleurs supprimé il y a peu le collège, ait décidé, porté par la folie mystique qu’on lui a longuement distillée, que des caricatures « salissaient » sa religion, insultaient son dieu ...  et que selon sa loi divine celui qui les montrait en classe méritait la mort.

La laïcité assigne les religions à résidence dans la sphère privée et elle organise la République autour de lois communes définies démocratiquement, c’est-à-dire par l’Homme et pour l’Homme. Et elle n’est pas négociable , sauf à accepter l’idée que, dans notre pays et dans nos villes, s’installent et se télescopent des lois particulières, des ordres sociaux particuliers, et que soit interdit de fait dans telle rue ce qui est autorisé dans telle autre, au gré de l’implantation de petits pouvoirs locaux qui seraient soi-disant d’ordre divin.

Il est plus que temps que l’on se souvienne que la monarchie de droit divin n’a rien de légitime. Qu’elle a été éradiquée dans notre pays. Que cela aura coûté des fleuves de sang et des milliers de vies...  Et qu’il n’est pas acceptable que coule à nouveau le sang, pour rétablir cette fois la dictature d’un ordre « moral » qui, parce qu’il se proclame d’origine divine, serait incontestable et universel.

 C’est bien d’un retour à une sorte d’ancien régime que nous assistons là en effet.

Quand on met en cause la liberté de penser, celle de critiquer, celle d’échanger les points de vue, y compris par la caricature, quand on impose des tabous, quand on finit par se les imposer soi-même en une autocensure contrainte qui renouvelle le vocabulaire à l’envi pour tenter de dire les choses sans les dire, on se rapproche de ces régimes d’autrefois. On reconstruit ce théâtre, qui serait ridicule s’il n’était si sanglant, où des dictateurs tiennent le peuple bride serrée en le menaçant des feux de l’enfer.  Et s’il ne veut pas croire en l’enfer, des fers et du cachot ou encore d’une mort terrifiante.

Continuons sur ce chemin et on ne trouvera plus nulle part de citoyens ma chère Elise. Ne resteront que des sujets et des fidèles.

Bien à toi

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