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Lettre à Elise, Claude Béhar est parti là-bas, de l'autre côté de la paroi

Ma chère Elise,

J’ai un coup de blues cet après-midi.

Je reviens des funérailles de Claude Béhar, un compagnon de route au conseil général devenu peu à peu un ami, un vrai. Et en même temps d’ailleurs que je t’écris ce « vrai », je me dis qu’il s’agit presque d’un pléonasme parce que Claude, il ne peut pas être autrement que vrai.

Je l’ai rencontré il y a vingt deux ans.

C’était dans les locaux de la fédération du parti socialiste que je fréquentais depuis peu de temps, trop attaché que j’étais jusqu’alors à ma liberté de pensée. Je tirais la porte pour en sortir. Claude se tenait derrière, sur le palier.

Et j’ai eu d’abord à faire à sa phase et à sa face grognonnes.

Il était candidat aux élections dans le canton d’Evreux-Nord quand je l’étais dans celui d’Evreux-Ouest, et il avait le sentiment qu’on ne le prenait pas assez au sérieux… Enfin que les formatés de la politique, dans lesquels il m’avait classé à l’époque, ne le prenaient pas au sérieux.

Et nous avons longuement parlé, de tout, de rien, du monde et des visions encore naïves que nous avions l’un et l’autre de ces compromis et de ces combinaisons politiques, si loin au fond de ce qui en est l’âme.

Et Claude, lui,  voulait parler du bonheur.

Puis nous avons gagné l’un et l’autre l’élection. Et nous sommes entrés en même temps au conseil général, d’abord effarés de découvrir qu’il n’était que gestionnaire, sans grande vision qui nous exalte … et que, par exemple, on ne transportait pas les élèves, mais qu’on les ramassait, qu’on savait ce que coûtait un bus scolaire en pneus, en gasoil, en coût au kilomètre et en contrôles divers, mais qu’on n’avait aucune idée du temps que devait y passer un enfant.

Trois ans plus tard, la majorité basculait et nous avons mis l’un et l’autre pour de bon les mains dans le cambouis… Quant au conseil général, à l’initiative de Francis Courel, il s’est enfin préoccupé du temps qu’un enfant passait dans un bus scolaire.

Nous étions de plus en plus proches Claude et moi. Puis nous sommes devenus amis. Nous avons échangé des confidences. Nous nous sommes dit nos doutes, nombreux, et nos certitudes, bien plus rares.

Des doutes, Claude n’en manquait pas, à commencer par ceux qu’il avait sur lui-même. Des certitudes, il n’en avait que quelques-unes. Une surtout : l’humain.

Même quand il en doutait, il croyait en l’homme. Parce que pour lui, douter pour de bon de l’homme, revenait à renoncer à changer le monde, à vider notre action de son sens, à s’étioler … Et Claude était bien incapable de s'étioler et se replier sur lui-même. Il ne savait pas être autrement qu’ouvert aux autres, ouvert sur le monde, ouvert sur la vie.

Il était ce que l’on appelait autrefois un honnête homme ma chère Elise. Mais c’était d’abord un homme, un homme vivant, un homme qui croquait la vie à pleines dents, un homme de fêtes, un homme de lettres, un homme de musique, un homme de théâtre et qui l’aimait suffisamment pour détester celui de la politique. Combien de fois ne m’a-t-il pas signifié, s’agissant de postures au conseil général ou au conseil d’agglomération, qu’il en avait marre de ces conneries!

Claude était un élu, un vrai, un de ceux qui ont vécu et qui vivent parmi leurs concitoyens. Pas un homme d’appareil, ni un parachuté, ni un de ces martiens, comme certains le deviennent,  qui réduisent le monde et la vie à la bulle de la soucoupe même pas volante dans laquelle il se sont enfermés.

Claude, il était vrai.

Je l’aimais rieur, débatteur, inquiet, et même grognon. Nos conversations devant une bière, un café, ou juste au téléphone, me manquent.

Il me manque.

Et pourtant tout à l’heure, durant la cérémonie officielle, entre les discours, qui ne lui ressemblaient pas toujours, et les chansons qu’il ne pouvait qu’avoir aimées, le vent est venu bercer les deux portraits de lui qu’on avait affichés derrière l’estrade. Et j’ai eu l’impression fugace qu’il était là, qu’il nous regardait pour de bon et que peut-être il allait rire de telle ou telle anecdote que rappelait un orateur, ou même se moquer de l’un ou l’autre qui se racontait davantage lui-même qu’il ne le racontait lui.

Et j’ai souri alors derrière mon masque. J’ai souri au vent … et à Claude aussi que le vent m'avait ramené ne fût-ce qu'un instant.  J'ai souri, ma chère Elise, parce que vois-tu, même mort, il est tellement vivant.

Bien à toi

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