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Parfums de rentrée

Le fleuve des voitures et des bus qui embouteillent les rues autour des écoles a retrouvé son lit ce matin. J’avais vu les prémisses de son retour lorsque vendredi, dès neuf heures, le parking du collège s’était rempli pour la prérentrée. Et puis il y avait eu ce récent matin où j’avais ouvert mes volets sur un brouillard presque automnal et qui portait dans sa ouate fraiche les parfums des premières rentrées de mon enfance.

Je ne me souviens pas de la toute première. 

Elle se confond avec tous ces débuts du mois d’octobre où je retrouvais mes camarades au fur et à mesure du chemin bordé d’abord par un petit bosquet, puis par des parcs à vaches où les faux mousserons dessinaient leurs ronds de sorcière. Nous longions ensuite le mur du cimetière avant de gagner le cœur du village et la mairie flanquée à droite de l’école des garçons, et à gauche de celle des filles. Nous partagions alors les mêmes classes, mais pas les récrés.

C’était la communale d’autrefois, celle que l’on quittait le plus souvent à quatorze ans pour être arpète à l’usine où chez un artisan de la ville. Seuls quelques-uns que l’instituteur avait repérés partaient après leur CM2 faire leur sixième au lycée de la ville.

Cette communale que tenait le directeur-secrétaire de mairie, c’était la mienne et celle de tous mes copains, pour la plupart fils ou petits fils de ces migrants venus pour beaucoup de Pologne et d’Italie après la grande guerre. Avec en ce qui me concerne les deux origines, italienne par mon père et polonaise par ma mère j’avais des cousins tout aussi italo-polonais que moi, d’autres italo-portugais, italo-français, polono-flamands, italo-algériens … Mais qu’importe !  Nous fréquentions tous la même communale, nous portions tous des culottes courtes et il nous arrivait à tous d’avoir un jour ou l’autre un genou couronné et quelques bosses. 

Je ne sais pas si l’Ecole d’alors était meilleure ou pas que celle d’aujourd’hui. Elle était différente. Comme l’était bien plus largement la France de l’après-guerre et de la reconstruction, celle du début des trente glorieuses, celle où le boulot ne manquait pas, où les métiers s’affichaient dans la rue et où, par la force des choses, on en saisissait encore le sens.

Je me souviens que mon père m’avait désigné un château d’eau, un gros champignon de béton, au cours d’une balade dans sa première 4 CV.

- Celui-là, c’est moi qui l’ai ferraillé, avait-il dit fièrement.  Et j’en ai fait des dizaines comme cela.

Et il avait commencé de m’en expliquer le fonctionnement. Nous n’avions pas encore l’eau courante à la maison.

Lorsqu’elle nous est enfin arrivée sur l’évier et qu’il n’a plus été nécessaire de remonter de la cave de lourds seaux de l’eau du puit, j’ai mesuré tout le sens du travail de mon père et j’en ai partagé la fierté avec mes copains d’école. 

J’avais dix ans alors.

 

J’entends aujourd’hui les questionnements sur l’Ecole publique, celle du peuple et de la République, et cette nostalgie des vertus de l’autorité du maître et des apprentissages fondamentaux auxquels il nous faut revenir. La critique nous vient bien souvent d’ailleurs de ceux qui l’ont soigneusement évitée, de ceux qui ne se mélangent pas. 

Et je ne peux m’empêcher de me demander si l’Ecole n’est pas alors un bouc émissaire bien commode qui évite, en centrant le débat sur des questions de lecture, d’écriture et d’arithmétique et d’une éducation bien scolaire à la citoyenneté, de s’interroger sur la réalité de ce que deviennent les valeurs de notre République. 

C’est que celles de la mondialisation des marchés les battent en brèche. Et trop souvent, le travail y perd son sens, en ce que l’on ne voit plus très bien en quoi il participe encore à la construction d’un avenir commun. 

Pas sûr en effet que le fils d’un trader puisse facilement comprendre et surtout partager le sens du boulot de son père aussi bien que j’avais partagé, moi, la fierté de mon père pour le sien.  Sauf bien entendu s’il se confine dans le microcosme d’une école faite pour lui et ceux de son monde.

 

Nous voilà bien proches et bien loin à la fois de l’école à deux vitesses d’autrefois. L’école du peuple aujourd’hui perd son sens en même temps que ses rôles d’intégration et d’ascenseur social, et je crains que celle de l’élite ne perde peu à peu de vue les valeurs de la République… si ce n’est pas déjà fait 

Que signifient vraiment aujourd’hui les valeurs d’égalité et de fraternité, quand par exemple les restaurants du cœur sont débordés et bientôt en faillite. Nos élites gouvernementales, bien formées dans leurs écoles, débloqueront, nous ont elles annoncé, quinze millions pour les aider. Mais je n’ai pas l’impression qu’elles aient pris le temps de se demander comment il se peut que dans l’une des sept grandes puissances mondiales, des familles, des étudiants, des travailleurs ou des personnes âgées, aient de plus en plus besoin de charité pour manger à leur faim. 

 

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