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Lettre à Elise, Portraits in Red

Ma chère Elise,

Il y a bien deux mois que je ne t’ai pas écrit. Je les ai traversés avec la sensation d’un vide paradoxalement pesant, d’un boulet pétri de souvenirs de toutes sortes et qui m’a tiré vers de vertigineux abysses d’activités inutiles.

Et puis j’ai recommencé à sortir un peu, me faisant à chaque fois violence, et sans être certain jusqu’au dernier instant, d'aller vraiment jusqu'au bout de la parenthèse que j'ouvrais en tirant derrière moi la porte de la maison.  Dehors, on me demande des nouvelles de Claude, si elle se porte mieux. Et je conte alors son départ en quelques mots que je voudrais neutres et qui ne le sont pas.

Samedi, je me suis décidé à aller voir Portraits in Red que danse Wanjiru Kamuyu.

C’est d’abord parce que le spectacle était donné au théâtre Legendre que j'ai répondu à l’invitation par mail que m'avait adressée le Tangram.  C'est que je n’y étais pas retourné depuis qu’il a réouvert. Je crois bien que l'une de mes dernières visites date des petites fabriques de théâtre, il y a une bonne quinzaine d’années. La rénovation et l’extension légère qu’on y a réalisées sont remarquables, même s’il aura fallu trois municipalités successives pour venir à bout de bien des aléas et que le projet évolue jusqu'à ce résultat de bon aloi.

Confortablement calé dans mon fauteuil, je me suis laissé envoûter dès les premières respirations de l’immense linge étendu sur le sol, linceul sanglant ou matrice étrange et rougeoyante dont les ondulations engendraient lentement une femme liane, une femme angoisse, une femme opprimée, libérée, bâillonnée, renaissante et libérée encore … Je me suis surpris à respirer à son rythme, fasciné par sa gestuelle nerveuse et souple, noble et précise même lorsqu'elle grime à gros traits rouges son visage et son corps, métamorphosant jusqu'à  son regard.

Me sont venues alors des images enchevêtrées d’actualité afghane ou de publicités futiles, et d’autres encore, terrifiantes ou dérisoires…  Je me suis laissé emporter par les longues arabesques du voile qui s’envole et retombe, tourne et se replie en un lumineux camaïeu de rouge. Puis j’ai mêlé aux métamorphoses de la femme tissée de rouge, le souvenir de La naissance de Vénus de Botticelli que j’avais longuement contemplée il y a quelques années au musée des Offices.  Et j’ai fait alors le pari de la vie plus forte que l’oppression.

 Au sortir de ce spectacle fascinant, les quelques bribes de commentaires que j’ai entendus étaient très élogieux ou, au contraire, franchement atterrés.  Mais je crois bien que la prestation de Wanjiru Kamuyu n'a laissé personne indifférent.

Je suis rentré chez moi ensuite, des couleurs plein la tête. J'y ai retrouvé le vide que j'y avais laissé, mais il était devenu bien moins pesant.

Les vertus de l’Art assurément !

Bien à toi.

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