6 Décembre 2024
Ma chère Elise,
J'ai pris le temps hier, puisque nous vivons des moments importants, d’écouter l’allocution du Président de la République.
Sur l’avenir de la France, il n’a rien dit. Tout comme il n’avait rien dit, ou pas grand-chose, sur la vision qu’il en avait lors des dernières présidentielles. Il avait alors rétréci son argument de campagne à “Moi ou le chaos”.
Sur l'état du monde, il n’en dit pas davantage, ni sur les chemins difficiles qu’emprunte l’humanité, ni sur notre devoir vis à vis des générations futures d’avancer vite sur les questions climatiques et de commencer d’en assumer les conséquences.
Mais de lui-même, du petit Emmanuel, son propos nous dévoile une étrange facette.
La dissolution qui a continué de gripper nos institutions ? Il a eu raison de la faire... Et ceux qui ne le voient pas, et la lui reprochent, c'est à dire à peu près tout le monde, ne comprennent rien à rien. Une variante de l’infaillibilité du pape qu'il s'applique à Lui-même.
La motion de censure qui a fait tomber le gouvernement ? Ce n'est que l'ouvrage d’irresponsables anti-républicains. Le peuple aurait donc été nul, qui n’a élu que des imbéciles… sauf aux dernières présidentielles bien entendu, lorsque c'est Lui que l'on a choisi.
Enfin, nous rappelle-t-il, “l’union fait la force” et nous sommes capables de nous rassembler. La preuve, la réussite des JO et de Notre Dame de Paris.
Mais sauver Notre Dame de Paris ou participer à la fête mondiale du sport, ma chère Elise, sont deux projets qui se partagent sans effort. C’est comme si l’on criait au miracle parce que tout le monde est d'accord pour qu'il y ait l’eau courante dans les logements des Français.
La Politique est une chose différente, ce n'est pas un projet fini comme la réfection d'une cathédrale.
La Politique, c’est voir bien au-delà du temps des mandats. C’est se mettre d’accord sur les règles du vivre ensemble, à commencer par le partage des ressources et des richesses que l’on produit ensemble, et sur ce qu’on laissera ensemble aux générations futures. C'est se mettre d'accord sur la réalité de l’égalité des chances et les règle d'une solidarité sans laquelle cet "Ensemble" n'aurait pas grand sens, ou encore sur la liberté, à commencer par celle de penser et de dire ... Et sur bien d'autres choses tout aussi fondamentales. Il ne s'agit pas là seulement de réparer Notre-Dame de Paris, ce qui est une action magnifique, mais aux contours bien finis, quelle que soit la valeur symbolique de l’édifice.
Parce que la Politique est complexe et qu'elle nous projette loin dans l'avenir, il est bien moins simple de trouver un accord, un consensus entre ceux qui possèdent la richesse et entendent bien la garder, voire se l'approprier plus encore, et ceux, de plus en plus nombreux, qui peinent à chaque fin de mois et revendiquent une part légitime de la richesse qu'ils contribuent à créer ; bien moins simple aussi de trouver un accord entre les générations, et je ne parle pas de la fracture entre les métropoles et la ruralité ...
Bien sûr qu'il faut se rassembler. Mais sur quel projet commun d’avenir ? Pour s'engager sur quelle route ? Au prix de quels renoncements ? Et de renoncements pour qui ?
De cela, monsieur Macron n'a rien dit hier, pas plus d'ailleurs qu'avant-hier.
Il s'est contenté, comme un gamin frustré, de taper du pied et d'affirmer “J’ai eu raison et j’ai raison …"
Et en l'entendant je songeais au refrain d'Alain Souchon, " Si tu m’crois pas hé t’vas voir ta gueule à la récré !” Plus que jamais, il m'évoquait hier un petit Manu qui trépigne parce que son cerceau est tombé, qui voudrait tout changer, mais pour que rien ne change, et surtout pas Lui.
Alors quels choix aujourd'hui ?
Au travers de Michel Barnier, c'est monsieur Macron qui est désavoué, quinquennat oblige. Il n'en démissionnera pas pour autant. Il n'a pas le panache d'un De Gaulle qui, lui, n'avait plus rien à prouver. D'ailleurs Elise, j'aime autant qu'il ne le fasse pas. Une élection présidentielle demain mènerait pour de bon cette fois l'extrême droite au pouvoir et c'est une perspective à laquelle je ne peux me résoudre.
Je ne sais pas sur quelle majorité brinquebalante s'appuiera le prochain gouvernement. Il s'agira sans doute d'alliances qui se noueront et se dénoueront au fil des dossiers. Les parlementaires s'exerceront au compromis, semaines après semaines, mois après mois, jusqu'à l'été au moins. Mais une chose me paraît pourtant certaine. Si durant ces quelques mois et les débats autour du budget futur, on ne répond pas à l'angoisse de ceux qui souffrent, de ceux qui sont contraints aujourd'hui de choisir entre se chauffer et manger convenablement, ou de choisir entre le loyer et la voiture dont ils ne peuvent se passer pour aller travailler, de ceux qui vont peut-être faire partie d'un de ces plans de licenciements qui s'annoncent, alors tous ceux-là désespéreront définitivement de la République et tout, même le pire, pourra advenir.
Bien à toi