2 Mars 2020
Ma chère Elise,
Monsieur Macron n’est pas le premier à user du 49-3, loin de là. Son premier ministre qu’il envoie en première ligne en défend la nécessité pour mettre fin au « non-débat » que constituent des milliers d’amendements bidons. Cela s’entend, mais encore faut-il s’interroger sur ce qui a conduit à cette guerre de tranchées parlementaire. Le désamour progressif entre le peuple et les Politiques dans ses conséquences électorales, conduit en effet aujourd’hui à une mise en cause bien réelle de la légitimité du pouvoir en place, et plus particulièrement de sa légitimité à bouleverser, plutôt que réformer, les outils de solidarité tels qu’ils ont été bâtis au milieu du 20ème siècle.
Monsieur Macron a été élu par d’habiles manœuvres selon certains, sur un malentendu selon d’autres. Mais une chose est certaine, il a été très mal élu… et il ne l’a certainement pas été sur son programme, même s’il aimerait nous le faire croire avec ses « marcheurs ».
Le 23 avril 2017, il a réussi à réunir sous sa bannière « en même temps » ses quelques premiers disciples que viennent renforcer un flux de socialistes qui se satisfont du libéralisme et que frustrent l’échec de M Valls à la primaire socialiste. Ils récusent évidemment Benoît Hamon qui en a été le vainqueur et ils préfèrent rejoindre monsieur Macron au prétexte d’éviter un second tour Le Pen-Fillon. Puis, monsieur Fillon s’étant disqualifié, un second tour Le Pen-Mélenchon. Quelques aficionados de monsieur Fillon précisément, déstabilisés par ce qu’on appelle le Pénélopegate, vont d’ailleurs les rejoindre très vite.
Tout ce petit monde réuni pèse au premier tour de la présidentielle 8 600 000 voix, soit 18 % du corps électoral. C’est moins d’un français sur cinq finalement qui adhèrent , certains avec enthousiasme, mais beaucoup faute de mieux, au programme de monsieur Macron, dont il faut d’ailleurs reconnaître qu’il est resté un peu flou.
Le 7 mai 2017, le second tour oppose monsieur Macron à madame Le Pen.
Il n’est alors plus du tout question de programme, qu’il soit flou ou pas. Monsieur Macron brandit l’image de la France et sa place dans l’Europe. Il se veut le dernier barrage pour contenir l’extrême droite. Il tente de chausser les bottes de monsieur Chirac au second tour de 2002.
Mais n’est pas monsieur Chirac qui veut!
En 2002, il a mobilisé au second tour trois millions d’électeurs de plus qu’au premier tour et il se fait élire par 62% des électeurs inscrits.
En 2017, monsieur Macron, lui, en mobilise deux millions de moins qu’au premier tour et il n’est élu que par moins de 44% des inscrits. Pas même un électeur sur deux.
Dire qu’il est loin d’avoir été plébiscité est un euphémisme. Quant à l’adhésion à son programme, toujours aussi flou d’ailleurs, elle ne dépasse probablement pas les 18% du premier tour.
Ce peu d'enthousiasme sera vraiment manifeste lors de l’élection législative qui suit en juin 2017. Les candidats macroniens, nouveaux venus dans la politique pour certains, ou parfois opportunistes défroqués d’autres partis, font campagne sur la nécessaire majorité à l’Assemblée Nationale que la France doit donner au nouveau Président. Sinon tout sera bloqué, disent-ils. Aucune réforme, aucune amélioration, un surplace qui confine à la décadence.
Et la France se résigne. Elle a un nouveau président dont elle ne voulait pas vraiment et il lui faut bien boire la coupe jusqu'à la lie. Mais le taux d’abstention s’en ressent et il atteint des records. Moins de la moitié des électeurs se déplacent pour le premier tour et ils sont moins de 43 % au second tour. Cette abstention massive conduit à ce, qu’au total, les candidats de la République En Marche à l’élection législative auront recueilli à eux tous moins de voix que les 18% du corps électoral qui avaient permis à monsieur Macron de se qualifier pour le second tour de la présidentielle.
Les règles de l’élection sont ce qu’elles sont et, c’est donc l’adhésion explicite de moins d’un électeur sur cinq qui donne à monsieur Macron la majorité absolue à l’Assemblée Nationale.
Cela aurait pu l’inciter à un peu de modestie , mais le voilà qui se prend pour Jupiter et qui se met à croire que la France l’a investi de la mission de chambouler tout ce qui fondait depuis la dernière guerre le pacte républicain. Et nombre de Français qui le voient sortir de son chapeau un programme qu’ils découvrent, et qui l’entendent clamer qu’ils l’ont élu pour le mettre en œuvre, sont aujourd’hui effarés.
Les gilets jaunes occupent les ronds-points. La réforme des retraites mobilise largement et l’on descend volontiers dans la rue à l’appel des syndicats.
Il faut dire que cette réforme des retraites s’inscrit dans le contexte d’autres mesures politiques qui n’ont fait qu’enrichir les plus riches et appauvrir les plus pauvres. Et parce qu’elle risque bien de faire la part belle aux retraites par capitalisation, ce n’est plus une réforme, c’est une véritable révolution dont on peut craindre qu’elle accroisse encore les inégalités, et qui divise les Français, inquiète le conseil d’Etat, et s’enlise au parlement dans une guerre de tranchées.
Monsieur Macron, toujours Jupitérien et se sentant investi d’une mission divine que lui auraient confiée les Français décide alors de passer en force. Et le samedi 29 février, un de ces jours qu’on ne voit que tous les quatre ans, alors que quelques députés somnolent encore dans l’assemblée en rêvant de leur dimanche en circonscription, son premier ministre lance la foudre du 49-3.
On passera donc toute la loi en bloc, sans débats fastidieux et on engagera la responsabilité du gouvernement. Il est assuré du succès. Il dispose d’une majorité écrasante. Et que lui importe s’il ne la doit qu’à huit millions d’électeurs, moins d’un sur cinq.
C’est incontestablement légal. Est-ce pour autant légitime ? Est-ce l’esprit de notre République, de nos institutions ?
Mais Jupiter ne se pose sans doute plus ces questions. Au bout de près de trois ans, il a oublié sur quels malentendus il a installé son trône et il espère bien que le peuple l’aura oublié aussi. Et puis n’a-t-il pas raison par essence même. Il est Jupiter, le protecteur du pacte Républicain. Et s’il est convaincu que ce pacte doit être soumis à la Finance et que notre « Liberté, Egalité, Fraternité » passe par l’enrichissement des riches et leur ruissellement sur les pauvres, il faudra bien alors que tous ces esprits obtus, ces quatre français sur cinq qui n’ont pas voté pour lui finissent par s’en convaincre aussi.
Je me demande parfois ce que cela fait de se prendre pour Jupiter. Et je me demande surtout si l’on n’en finit pas par oublier qu’en République le Capitole est bien proche de la roche tarpéienne. Peut-être les élections municipales le lui rappelleront-elles sévèrement… A moins que d’ici là le coronavirus ne sature tous les bulletins d’information.
Bien à toi