11 Mars 2020
Ma chère Élise,
J’avais pour projet cet après-midi d’aller rendre visite à ma mère et peut-être sortir avec elle un moment de l’EHPAD où elle réside. Mais voilà que la crainte du coronavirus l’interdit. Plus de visiteurs dans la maison de retraite jusqu’à nouvel ordre, et du coup je prends le temps de t’écrire aujourd’hui.
Voilà que près de cinquante maires de l’agglomération se rangent derrière monsieur Guy. Ils se sont réunis avec lui dans un bar d’Évreux pour un petit point de presse. Deux maires de l’agglomération sur trois, tu imagines !
A dire vrai, ce qui me surprend surtout, c’est que monsieur Guy en soit réduit à utiliser dès le premier tour cet argument, et cet expédient d'ailleurs puisque c’est lui qui, semble-t-il, les a réunis. Se sentirait-il en si mauvaise posture !
Pour le reste, que deux maires de l'agglomération sur trois le soutiennent ne m’étonne pas.
C’était programmé, me semble-t-il de longue date. Je ne vois pas en effet, sinon la volonté de recruter quelques « amis » de plus au sein du conseil communautaire, ce qui pouvait justifier que précipitation et improvisation aient présidé à la fusion de l’agglomération d’Évreux avec la communauté de commune des portes de l’Eure. Tu te souviens, ma chère Élise que monsieur Guy était allé jusqu’à tenter de faire croire aux conseillers communautaires que l’urgence de cette fusion était dictée par le Préfet lui-même, quand la loi laissait en réalité largement le temps de préparer convenablement les choses, voire de ne pas fusionner du tout.
Au bout du compte, les représentants d’Évreux ont été noyés parmi 124 conseillers communautaires. Et j‘imagine que monsieur Guy s’est mis à rêver qu’il conserverait peut-être les rênes de l’agglomération, quand bien même les habitants d’Évreux l’auraient poussé dehors. Peut-être est-ce d’ailleurs ce qu’il veut signifier en réunissant ainsi ses soutiens à l’agglo avant même d’être élu. Les Ebroïciens apprécieront.
Cela dit pour en arriver là, il a fallu qu'il travaille son personnage et sa gouvernance.
Loin de favoriser le débat au sein du conseil communautaire, il a préféré verrouiller les décisions au cours de conférences des maires où chacun d’eux représente sa commune. Pourtant, si chacun des maires est incontestablement légitime, la conférence des maires qui les rassemble ne l'est pas toujours et en tout cas, elle n'est pas suffisante. Tout dépend , ma chère Élise, des sujets qui y sont abordés.
Si au conseil communautaire, Évreux dispose d’un tiers des délégués pour 44 % de la population, ce qui constitue déjà une sous-représentation, à la conférence des maires chacun des 74 maires pèse le même poids. Et de ce fait, les 70 habitants d’une commune minuscule ne pèseront pas moins dans la décision que les près de 50 000 de notre cité.
C’est cette modalité-là de gouvernance, je le crois, que saluent particulièrement les 49 édiles qui se sont exprimé dans la presse. Curieusement d’ailleurs certains d’entre eux ont déploré tout au long des conseils communautaires que les affaires internes d’Évreux y soient invitées par l’opposition de monsieur Guy. Et voilà que lorsque monsieur Guy les invite aujourd'hui à ces mêmes affaires internes, ils acceptent de s'en mêler.
L’un d’entre eux affirme explicitement que, auparavant, Évreux avait le pouvoir au sein de l’agglomération et que les maires des autres communes ne pouvaient pas faire grand-chose. Je te laisse traduire ma chère Élise ce que cela signifie en creux s’agissant de la situation actuelle...Il suffit d'inverser les termes.
Ce que ne mesure sans doute pas ce maire, indéfectible soutien de monsieur Guy, c’est qu’Évreux ce n’est pas une abstraction. Évreux, ce sont 49 000 habitants, des familles, des gosses, des anciens, des ados. Évreux, c’est aussi un taux de pauvreté de 28%, et donc près de 14000 habitants considérés comme pauvres par l'INSEE , soit par exemple 15 fois la population totale de la commune que représente ce maire. Et ces habitants, il faut bien leur donner la parole aussi. Il faut bien que l'agglo leur répondre aussi, surtout quand elle a en charge, pour ne citer que ces deux compétences, la politique du logement ou celle de la ville.
Un autre de ces maires, soutien tout aussi indéfectible de monsieur Guy, affirme que la politique n’entre pas en ligne de compte à l’agglomération et que l’on travaille uniquement pour l’intérêt général, comme s'il ne s'agissait encore que de gestion ou de saine mutualisation, celles des anciens syndicats de voirie ou d’ordures ménagères.
L’agglomération aujourd'hui organise son territoire, et elle le projette dans l’avenir. Elle organise des services essentiels dont elle détermine le financement. C'est en permanence qu'elle fait des choix politiques. Elle est une instance éminemment politique.
Choisir par exemple d’organiser la gratuité de 14 m3 d’eau par habitant comme le propose Vincent Breuil plutôt que, comme veut le faire monsieur Guy, baisser le prix du m3 indistinctement qu’il s’agisse de l’eau nécessaire à la vie ou de celle qui servira à remplir une piscine privée, c'est un choix politique .
Choisir de soutenir la zone carrefour, comme l’a fait monsieur Guy, et permettre qu'elle devienne le véritable centre de l’agglomération au détriment du centre de la cité, favoriser ainsi l’extension de l’habitat horizontal plutôt qu’un habitat urbain plus concentré, favoriser de ce fait le déplacement automobile, c'est un choix politique.
Choisir que des sommes conséquentes soient investies pour le doublement de la nationale 13 de Chaufour à Évreux plutôt que donner une priorité absolue à un tram-train Evreux-Rouen, c'est un choix politique.
Il faut prendre conscience que l'agglomération n'a pas seulement changé de taille. Elle a changé aussi et surtout de nature. Sa gouvernance en devient plus délicate. Et je ne parle pas seulement de gestion d’une assemblée où les intérêts divergent nécessairement et où il faut sans cesse chercher les compromis qui rassemblent... sans pour autant se laisser aller d'ailleurs à ce soi-disant pragmatisme cher à monsieur Guy , qui n'est souvent que démagogie et qui pourrait bien se révéler délétère à long terme.
La gouvernance de l'agglomération suppose que l’on respecte chaque commune et les représentants qu’elles ont élus. C'est une évidence. Mais sans qu'il soit question pourtant de faire comme si les 112 000 habitants du territoire étaient équitablement répartis entre les 74 communes qui le composent, comme si les délégués n'étaient là que pour représenter des abstractions que seraient les territoires plutôt que des citoyens.
Dans les anciens syndicats de communes cela n’était pas impossible. On y parlait volontiers de représenter des territoires, et cela d’autant plus sereinement qu’il n’y avait souvent pas de déséquilibre démographique important entre eux. Dans un syndicat de voirie par exemple, le nombre de kilomètres des routes à entretenir était un critère de gestion au moins aussi déterminant que le nombre des habitants.
Dans une communauté d’agglomération comme la nôtre en revanche, qui dispose désormais d’une part de l’impôt des ménages et qui prend la responsabilité de services du quotidien comme la petite enfance, que l'on parle de territoires ne me gêne pas, mais ce qui prime sur bien des sujets, c'est la représentation des habitants. Je ne crois malheureusement pas, loin de là, que le mode d'élection des conseillers communautaires et de l'exécutif tel que le définit la loi soit bien satisfaisant à cet égard. Tu sais ma chère Élise que je crois depuis longtemps que les président d'agglo devraient être élus au suffrage universel direct. Même si je suis conscient d'effets pervers possible, ce ne serait pas pire, loin de là que la situation d'aujourd'hui.
S'agissant plus précisément du fonctionnement d' Évreux Porte de Normandie, ce n'est pas que les modalités de représentation des habitants soit peu satisfaisantes. La gouvernance de monsieur Guy, ses postures et ses gesticulations, qui m'auront souvent donné l'impression qu'il recherchait un consensus d'abord interne et qui ne lui ferait pas risquer de perdre ces soutiens qui s'affichent aujourd'hui, font qu'à cet égard c'est comme si on partait de rien. Tout y est encore à inventer.
Bien à toi