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Lettre à Elise , Marche au pas

Ma très chère Élise,

Il y a quatre jours que je ne t’ai pas écrit. Rassure-toi, tout va bien et la campagne électorale est totalement éveillée à présent , comme partout je le crois. Il faudra d’ailleurs que je te parle à l’occasion de messages que je reçois et qui évoquent déjà pour le second tour des alliances improbables.

Ce week-end, Je suis passé sur le marché. J’avais oublié à quel point il m’était essentiel. Peut-être parce qu’il m’évoque celui que je traversais le samedi, petit bonhomme de dix ans, fraichement entré en classe de sixième au lycée de Longwy. Il était sur ma route du retour, presque au pied de la Grimpette. Et, pour gagner la gare routière, je devais parcourir cette île aux trésors à l’heure où on y démontait les étals. J’y ramassais de belles poignées de ces grands élastiques qui jonchaient le sol et qui me serviraient à quelque jeu que nous partagerions avec les autres mômes de la rue.

Mais voilà que la nostalgie m’égare ma chère Élise. En fait de trésors samedi, je n’ai trouvé à emporter, outre mes victuailles, que quelques images.

En arrivant par la rue du Duc de Bouillon, j’ai aperçu par exemple un petit attroupement autour d’un étal sur le bord de la place.  Monsieur Guy y jouait les bateleurs, sous le regard morne d’une poignée de ses colistiers. Il improvisait, m’a-t-il semblé, quelque tirade à l’adresse du marchand figé derrière son éventaire. En fait, c’est à la caméra plutôt qu’à l’assistance qu’il réservait ses postures. Quant au propos, c’est au gros micro emmitouflé au-dessus de lui qu’il le destinait.

Tout cela est finalement bien factice.

Il s’agissait, je ne l’ai appris que plus tard, d’un reportage pour les informations sur la 2. Je ne puis t’en dire davantage, je n’ai pas eu le temps de le visionner. Mais peut-être, toi, en as-tu eu l’occasion. En tout cas ce que j’en ai lu sur les réseaux sociaux ne m’a guère fait envie.

Ce qui m’a surtout frappé dans cette scène, c’est le silence et la raideur du groupe des colistiers. C’était ce même silence et cette même raideur qu’ils nous ont servi, à quelques exceptions près, tout au long de chaque conseil municipal. Tu l’avais constaté toi-même à chacune de tes visites. Sous l’ère de monsieur Guy, grand maître des séances, le conseil municipal n’était que la chambre d’écho de décisions déjà prises. L’opposition n’y avait pas d’autre rôle que celui de clamer en vain son opposition, cependant que la majorité y méditait la parole du maître dans un silence religieux, sauf bien sûr quelques zélateurs qui, de temps à autre, agitaient l’encensoir.

Cette image de la vanité de ces assemblées m’est revenue brutalement à l’esprit il y a peu lorsque j’ai entendu parler de l’affaire du congé de douze jours pour le deuil d’un enfant disparu. Je pense que cette histoire est venue jusqu’à toi aussi. Elle a fait tant de bruit qu’on en a oublié un instant le coronavirus et que monsieur Macron lui-même s’en est ému.

C’est une affaire qui m’a d’abord stupéfié, puis navré.

 Perdre un enfant est sans aucun doute la pire chose qui puisse arriver à quelqu’un. Et, comme nombre de Français, je peine à imaginer qu’un député ait pu voter contre la proposition d’un congé destiné à aider des parents complètement détruits à reprendre un peu de souffle... Non pas à  faire leur deuil, pour cela leur vie n’y suffira peut-être pas, mais juste reprendre un peu de souffle. Qu’un député n’ait jamais été confronté à la situation, et qu’il ne se soit jamais intéressé à la législation en la matière, je peux l’entendre ! Mais lorsque la question lui est directement posée, qu’il ne peut donc plus ignorer la tragédie qui se joue dans les familles concernées, et qu’on lui demande de voter pour ou contre la proposition de ce congé de douze jours, comment peut-il alors décider de voter NON ?

C’est sans doute qu’il ne décide plus lui-même, et qu’il laisse son groupe prémâcher sa pensée.

Et quand le chapitre n’est composé, comme l’est le groupe En Marche, que de novices ou de défroqués de partis politiques qu’ils ont contribué à ruiner, son credo commun risque bien de se limiter à « Le gouvernement donne le LA et nous chantons sa parole en chœur » .Ainsi, si les gourous de la macronie chantent qu’il ne faut en aucun cas augmenter le coût du travail, un congé supplémentaire qui coûte aux entreprises, même s'il répond aux meilleures raisons du monde, ne sera pas considéré comme pertinent… Le groupe des présents de La République En Marche a donc voté en chœur le rejet de ce congé. Enfin, pas tout à fait. Trois de ses membres ont tout de même préféré le cœur.

Cette discipline de groupe, je la connais depuis longtemps. Je suis élu, tous mandats confondus, depuis vingt-deux ans , tu le sais ma chère Élise et il est arrivé parfois, je le reconnais volontiers, que je me sois laissé emporter par elle.  Elle est utile lorsque l’action est collective. Mais il ne faut pas pour autant laisser de côté tout sens critique. Les décisions collectives s'imposent dans l'action, mais à condition que chacun ait pu influer sur elles et qu'il ait donc participé au débat. Dans la réalité, c'est loin d'être toujours le cas.

Sais-tu qu’il est arrivé qu’une conseillère municipale des amies de monsieur Guy m’ait remercié un soir d’une de mes interventions. « Je suis contente que vous ayez dit cela, m’avait-elle chuchoté. J’aurais aimé pouvoir le dire. Mais vous comprenez … ». Et elle avait bien sûr voté avec monsieur Guy… Et contre ce qu’elle aurait pourtant aimé dire.  

Ce soir-là j’avais hoché la tête d’un air entendu. Mais je crois aujourd’hui que j’aurais dû lui répondre que, non, je ne comprenais pas, non pas qu'un élu  puisse accepter un compromis, mais qu’il se laisse aveuglément soumettre par une discipline de groupe.

Cette discipline n'aura d'ailleurs guère réussi au bout du compte à monsieur Guy. Sur la fin de son mandat, un quarteron d’adjoints et de conseillers, dont certains rêvaient peut-être d’un destin, a fini par faire sécession… et cause commune avec les macroniens de la ville… Je gage qu’il tente aujourd’hui de recomposer, autour de sa personne, un nouveau chapitre qui fera vœu de silence, un nouveau chapitre godillot, avec, entre autres, le carré des zélateurs qui lui restent fidèles, et les quelques défroqués que j’évoquais dans une lettre précédente … Mais c'est une autre saga dont on tournait une des premières saynètes samedi matin sur le marché d’Évreux.

Lorsque nos concitoyens m’avaient confié mon premier mandat, je me souviens qu'un ancien m’avait lancé cette phrase provocante : « N’oublie jamais que le pouvoir d’un élu c’est celui de sa grande gueule ». En d'autres termes, c'est le poids de sa parole, que renforcent son travail et la confiance du peuple, qui permet à chaque élu d'influer sur l'action collective.

Alors quand il se tait ou qu’il ne fait qu’encenser aveuglément un maître …  !

Bien à toi très  chère Élise.

Si vous préférez écouter cette lettre

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