6 Avril 2020
Ma chère Élise,
J’ai eu envie de siffler mon chien dimanche, et de partir avec lui dans la campagne, vers la queue d’hirondelle. Sur le flanc de la colline, le bleu du tapis des jacinthes sauvages a sans doute succédé à l’or des jonquilles dont j'étais allé cueillir quelques bouquets avant que le confinement ne me l’interdise. Nous aurions poussé comme souvent, bien au-delà des captages, jusqu’à Parville ou peut-être même jusqu’aux limites de Caugé avant de revenir par Morsent. En parcourant la bonne douzaine de kilomètres de cette longue boucle où je ne croise généralement personne, je n’aurais sans doute pas davantage contribué à la progression de l’épidémie qu’en faisant le tour du pâté de maison proche de mon domicile, dans le cadre réglementaire d’une heure et d’un rayon d’un kilomètre.
Mais les règles du confinement sont ce qu’elles sont. Elles s’imposent à tous et elles ne peuvent prendre en compte chaque situation particulière. Je m’y suis donc volontiers soumis.
Je ne suis au demeurant pas à plaindre. Beaucoup moins en tout cas que si je devais vivre ce confinement, dans un studio étroit, avec un poste de télévision pour unique compagnie. Beaucoup moins à plaindre surtout que tous ces « héros du quotidien » qui, après avoir consacré sans compter des heures et des heures à tenter - et à réussir souvent - de sauver des vies, ou simplement d’accompagner le mieux possible les plus fragiles d’entre nous, s’écroulent complètement vidés aussitôt rentrés chez eux.
Je témoigne à ce propos du dévouement des personnels de La Filandière où vit ma mère depuis quelques mois. Ils font le maximum, et plus encore, pour préserver la santé des résidents, en évitant autant que possible de leur laisser le sentiment qu’ils seraient emprisonnés dans leurs chambres. Et c’est loin d’être simple. Je mesure, à distance, leur professionnalisme. J’apprécie leur humanité, leur empathie, leur patience et leur imagination…
Ils adressent aux familles, chaque quarante-huit heures, un bulletin d’information. C’est ainsi que je sais que quatre résidents se sont éteints déjà en quelques jours… Et que six soignants sont souffrants.
Je regrette en revanche de ne pas disposer de ces informations, et de bien d’autres encore, par le maire d’Evreux. Après tout, je reste conseiller municipal. J’entends parler de quelques initiatives qu’il prend, par la presse, ou encore au détour d’une vidéo artisanale sur un mur facebook, et qui me revient par quelque canal aléatoire de mon propre réseau. Je regrette qu’il en soit ainsi et j’en suis surpris.
Le report des élections, dont je doute d’ailleurs qu’elles se tiennent en juin, conduit à la prolongation des mandats en cours. Mais prolonger les mandats, ce n’est pas seulement prolonger celui du maire. C’est aussi prolonger ceux de tous les conseillers municipaux.
Il va de soi que dans cette période de confinement, réunir un conseil n’est pas envisageable, même si le choix qu’a fait le maire d’en suspendre le fonctionnement depuis l’automne dernier a conduit aujourd’hui à ce qu'il « gouverne » seul depuis près de six mois. Seul, c’est à dire sans prendre la peine de rendre compte devant l’assemblée, ni d'en prendre les avis. C’est une situation inédite, une forme de gouvernance locale par ordonnances, mais qui ne peut ni ne doit durer aussi longtemps. Si l'on fait en effet un parallèle avec l'état d'urgence sanitaire, le premier ministre, même s'il gouverne par ordonnances, continue de consulter. Et son "pouvoir solitaire" est limité dans le temps.
J’entends, ma chère Élise, qu’il faille se montrer unis et solidaires face à l’épidémie. C’est la seule attitude raisonnable et ce n'est pas aujourd'hui le temps des politicailleries. Nous le devons à tous ceux qui se battent en première ligne au péril de leur santé et parfois de leur vie, à tous ceux aussi qui font en sorte que l’on trouve encore de quoi répondre à nos besoins les plus élémentaires et qui, eux aussi, prennent des risques au quotidien.
S’il y a un moment de notre histoire municipale où il convient que les groupes d’opposition s'inscrivent dans des démarches constructives, c’est bien aujourd’hui alors qu'il faut répondre aux besoins particuliers d’une population confinée et en danger, s'employer à fédérer les solidarités, les imaginations, et aussi préparer d’ores et déjà les étapes d’un retour à une vie plus normale.
Mais pour que tous les conseillers municipaux, ceux de la majorité comme ceux des groupes d’opposition puissent s’inscrire dans de telles démarches, encore faut-il les reconnaître, les informer et les associer plutôt que tenter de les dissoudre dans un silence dont je me demande comment je pourrais le qualifier. Personne ne doit plus se considérer en période électorale. Les urgences sont ailleurs qui, dans l'instant, s’imposent à tous.
J'aimerais, ma chère Élise, que ce soit le chemin qu'empruntent aujourd'hui le maire et ses adjoints, et qu'ils n'imaginent pas qu'il leur serait nécessaire de travailler seuls pour parer au plus pressé...