21 Février 2025
Ma chère Elise,
Je peine à comprendre ce tournant que prend la guerre entre l'Ukraine et la Russie. Monsieur Trump est revenu dans le jeu international. Son art de "l'information alternative", et sa volonté de bousculer les choses pour les replacer dans le sens de son propre intérêt évoquent de plus en plus une sorte de Poutine à l'américaine. Que faut-il en attendre ? Dans l'instant déjà ce climat délétère qui conduit certains à vouloir préparer la guerre ou, en tout cas, à y préparer l'opinion publique.
Je retrouve pour ma part à plus de soixante ans de distance ce sentiment étrange que nous partagions avec les copains en octobre 1962. Je venais d'entrer en classe de cinquième au lycée de Longwy et sur le chemin de la cantine, où nous allions en rang à quelques centaines de mètres, nous évoquions avec effroi ces missiles qui peut-être passeraient au-dessus de nos têtes ou peut-être viendraient tout détruire autour de nous. Je ne crois pas que nous ayons songé alors à notre propre disparition. Nous étions bien trop jeunes. Nous avions à l’esprit les blessures toujours vives de la seconde guerre et nos grands-parents nous rappelaient encore celles de la première, mais la mort n’en demeurait pas moins pour nous une abstraction.
C'était la crise des missiles de Cuba. Le bras de fer entre les deux K, Khrouchtchev et Kennedy. C'était le mois des ultimatums, en pleine guerre froide, c'est à dire dans un monde figé dans les frontières de l'après Yalta, ou plutôt dans deux mondes antagonistes. Que les gamins d’une douzaine d’années que nous étions en soient arrivés à décompter les heures d’un ultimatum et à attendre l’apocalypse témoigne d’une ambiance pesante et d’une opinion publique à cran.
Puis la crise s’était finalement dénouée. Tu l’as appris dans les livres d’Histoire ma chère Elise. Les deux puissances s'étaient jaugées, leurs forces s’étaient annulées l’une et l’autre. Et puis nous étions en pleine croissance, dans l’euphorie des trente glorieuses. Le temps n'était pas à la guerre. En tout cas pas chez nous. L'Union Soviétique a démantelé ses rampes de missiles et la guerre froide a repris son cours par conflits extérieurs interposés.
Je crains que les choses ne soient devenues bien différentes aujourd'hui.
Le rideau de fer s'est levé il y a quarante ans, au son des orchestres de rue et du violoncelle de Rostropovitch. L'empire Russe s'est resserré et ne demande qu'à s'étendre à nouveau. L'Amérique voit son business menacé par d'autres puissances, la Chine en particulier. L'Europe, qui a bien trop vite grossi, là aussi business oblige, peine à se trouver une identité et ne représente sans doute plus, ou beaucoup moins, une garantie de paix. Nous sommes loin du temps des trente glorieuses. Nos sociétés s'essoufflent et recommencent à engendrer de forts courants nationalistes.
Au fond, Trump et Poutine se ressemblent. L'un est la version extravertie de l'autre. Leur apparente collusion n'est finalement guère étonnante. Je n'irai pas pour autant, même si le grand copain de monsieur Trump, Elon Musk, se serait essayé au salut nazi, la comparer au pacte germano-soviétique qui a facilité le dépeçage de la Pologne. Quoique !
J'espère en tout cas que la tension, dont je ne crois pas qu'elle soit encore à son apogée, finira par se relâcher, comme lorsque j'étais môme et que l'on nous promettait des pluies de missiles qui ne sont pas venues. Mais il ne faudra pas, comme cela semble en prendre le chemin, que ce soit sur le dos de l'Ukraine que l'on ne ferait alors que sacrifier pour un sentiment de paix bien éphémère. L'Europe a-t-elle vraiment pour ce faire d'autres choix que tenter de s'imposer dans les "négociations » et peser en faveur d'une Ukraine que les "deux grands" semblent vouloir reléguer dans le statut peu enviable du vaincu ? Je ne le pense pas.
S'en donnera-t-elle les moyens en s'unissant dans une même volonté ? Est-il encore temps ?
Il le faudrait bien, ma chère Elise. Il le faudrait bien, mais ...
Bien à toi