5 Mars 2025
Ma chère Elise,
Une fois n’est pas coutume, le propos de monsieur Macron ce soir, qui d'ailleurs n’avait rien d’un Clémenceau ni d’un Churchill, entrait en résonance avec mes propres pensées, mes propres craintes. J’avoue que l’idée d’un réarmement, de la réorientation des choix budgétaires vers une accentuation plus que significative du budget de notre armée, cependant que d’autres pays en Europe feront de même, ne m’enchante guère.
Et pourtant. Il le faut sans doute.
Je crains en effet qu’il n’y ait plus guère d’autre choix et qu’il faille de surcroît, aujourd’hui, aller à marche forcée.
L’occident a fait la fête en 1989, lorsque le mur est tombé à Berlin, suivi rapidement de la dislocation de l’URSS. On en avait enfin fini avec la menace de l’Est, on allait ouvrir en grand le marché européen et un avenir florissant.
Peut-être, avant d’ouvrir, aurait-il fallu commencer par consolider le noyau européen composé des six états de 1957 et élargi par étapes jusqu’à douze en 1985. Peut-être aurait-il fallu se souvenir que l’une des raisons qui avait permis de « vendre » l’idée d’Europe aux citoyens de ces différents états, c’était qu’elle était porteuse de paix. En tout cas sur son territoire.
Ils l’ont oublié lorsque l’Europe n’a plus donné comme image d’elle que des règles et des contraintes.
Peut-être aurait-il fallu, avant de l’élargir jusqu’à vingt-sept états, la transformant en un ensemble somme tout assez hétéroclite, travailler davantage à une identité commune.
Mais business is business.
Peut-être fallait-il aussi imaginer plus tôt et renforcer des stratégies de défense communes, sans s’en remettre à l’OTAN seulement dont l’objet initial, préserver l’occident du bloc communiste, était devenu caduc.
On devait pourtant bien savoir, dans les cercles européens que, plus l’Europe se renforcerait en tant que telle, plus elle pèserait dans le monde, plus elle risquait d’être perçue comme susceptible de faire de l’ombre aux intérêts américains. Et à partir du moment où le bloc de l’Est s’était délité … !
Mais qu’importent les « peut-être ». La situation est ce qu’elle est.
L’Europe a peur. Elle va intensifier son effort d’armement. Elle va tenter de resserrer les liens entre des Etats habitués à s’appuyer sur le grand frère américain, mais qui les abandonne, occupé à d’autres projets.
Saura-t-elle le réaliser, ou en tout cas le laisser croire, suffisamment rapidement pour peser vraiment dans les négociations qui se profilent entre Trump et Poutine et auxquelles monsieur Zelensky ne sera associé que si elle l’impose ou qu’il aura d’abord été brisé ?
Je n’en sais rien ma chère Elise. Je ne peux que le souhaiter.
Mais si elle n’y parvient pas, parce que trop disparate, parce qu’elle a grandi trop vite, parce qu’elle a déjà commencé, avec la contagion des nationalismes, à se fracturer, je crains fort qu’elle ne se disloque pour de bon et que chacun se mette, plus que jamais, à jouer sa partition en solo.
Un bel arrangement pour Trump et Poutine. Une calamité pour nos concitoyens.
Bien à toi