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Lettre à Elise. Le second tour des municipales en juin, une mascarade

Ma chère Elise,

Ils sont une trentaine de maires et d’élus locaux à avoir signé une tribune dans le JDD pour dénoncer le risque d’un « confinement démocratique ». De grands élus… Je veux dire des connus, prompts à prendre la parole et à occuper les plateaux. Et se trouvent même, parmi eux, de mes amis.

Je suis d’accord avec eux sur l’intérêt d’éviter un « confinement démocratique », pour autant d’ailleurs que la Démocratie ne sente pas depuis quelque temps déjà un peu la naphtaline… Mais, tu le vois ma chère Elise, j’encadre de guillemets cette expression qui ne veut pas dire grand-chose au fond. Et quand bien même aurait-elle du sens, je ne crois pas que fixer la date du deuxième tour de l’élection municipale libérera la démocratie.  C’en serait au contraire un déni.

C’était une faute que maintenir le premier tour le 15 mars. Monsieur Macron et le gouvernement, l’ont commise, apparemment poussés par quelques-uns de ceux-là même qui prônent aujourd’hui l’urgence d’un second tour. C’était d'ailleurs une triple faute. Je n’y reviendrai pas. Tu as en effet encore en mémoire les réticences que je t’exprimais dans la lettre que je t’ai adressée quelques jours avant d’aller présider mon bureau de vote… Et qui se sont d’ailleurs largement vérifiées.

Au bout du compte, les listes élues le soir du 15 mars et celles qui se sont trouvées en tête pour le second tour, l’ont été, comme il fallait s’y attendre, dans le contexte d’une abstention dont l'extraordinaire ampleur est largement liée à la crainte d’un risque sanitaire.

A Evreux par exemple, ce sont six électeurs sur dix qui ne seront pas venus voter. Cela relativise sérieusement les 42% de suffrage qu’obtient le maire sortant qui n’est finalement porté que par un électeur sur 7. Et je ne parle pas des autres listes !

Le second tour se déroulerait-il au mois de juin dans un climat plus sain qui autoriserait une authentique expression démocratique?  J’en doute.

Sur le plan sanitaire tout d’abord, la France se « déconfine » progressivement depuis le 11 mai, mais elle reste sous la menace d’une seconde vague d’épidémie qui serait plus meurtrière encore que la première.

Est-il prudent de programmer une élection dont on ne serait pas certain une nouvelle fois de pouvoir la tenir ?

Imaginons de surcroît les contraintes qui rendraient très compliqué le dialogue des candidats avec la population, des campagnes « porte à porte » masquées par exemple, des réunions publiques à 4 m2 par participant, les désinfections du matériel électoral y compris les professions de foi… J’en passe et des meilleures. 

Enfin, quand je parle d’un dialogue compliqué entre les candidats et la population, cela ne concerne pas tous les candidats. Les équipes sortantes bénéficient en effet d’un avantage plus exorbitant qu’à l’accoutumée. Il ne s’agit plus de la traditionnelle prime au sortant. Depuis le 15 mars, elles sont en effet seules sous les feux de la rampe. Peut-être pas partout, mais je crains que la tentation n’ait été bien grande de profiter du confinement et des impératifs de gestion de la crise pour étouffer la voix des minorités.

A Evreux par exemple, il n’y a eu aucun contact entre le maire sortant et les représentants des groupes d’opposition, aucune information sur la réalité de l’impact local de la pandémie dans ses déclinaisons sanitaires et sociales, aucun débat sur les orientations nécessaires y compris sur les choix budgétaires qu’elles impliquent. Comment s’est organisé le confinement pour le quart de la population qui vit au niveau ou en dessous du seuil de pauvreté ? Combien d’entre eux qui vivaient de petits boulots se sont retrouvés laminés ? Comment le prendre en compte ?

Ce n’est pas le numéro spécial d’Evreux-magazine, ni les deux masques, ni la lettre d’accompagnement du Maire, que nous avons trouvés cette semaine sous enveloppe dans nos boites aux lettres qui y répondent. On y parle d’action de terrain bien sûr et de solidarités qui s’expriment. Et tout cela mérite d’être souligné. Mais cela ne donne que bien peu d’éléments sur l’action de la ville en tant que telle et ne se prête guère au débat municipal qui me paraît pourtant plus nécessaire que jamais.

On confond, je le crains, sous le couvert d’actions remarquables et solidaires que l’on met en exergue, transparence et communication pour ne pas dire, par moment, propagande. Tout cela, ma chère Elise, ne fleure guère le parfum d’une démocratie libérée, tu en conviendras. Et organiser le second tour dans la suite immédiate de cette période de véritable « confinement démocratique » pour ne pas dire « confiscation, même provisoire, de la démocratie » ne serait que mascarade.

Stabilisons plutôt les exécutifs locaux qui sont en première ligne pour la gestion de la crise que nous vivons. Et pour cela, oublions dans l'immédiat le second tour et prolongeons leurs mandats jusqu’en mars 2021. Ce ne serait pas une première … Faire cela, c’est d’abord un gage d’efficacité pour gérer la sortie de crise, mais c’est aussi faire en sorte que les instances républicaines locales se remettent à fonctionner, que les plans de sortie de crise soient définis dans les conseils avec toutes les composantes de la représentation municipale, que l’on construise et que l’on vote les budgets nécessaires.

Et il sera bien temps dans dix mois de proposer au peuple d’élire de nouvelles équipes, sans la pression d’une pandémie, et après que l’on aura rétabli les conditions d’un authentique débat démocratique qui ne soit pas pétri que de propagande.

En tout cas, en ce qui me concerne, si le second tour est fixé pour le mois de juin, ce sera sans moi. Je ne me rendrai pas complice de cette mascarade.

Bien à toi.

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I
Bravo pour vos lettres qui sont les témoignages vivants de notre époque. Je ne suis pas très penchée sur la politique mais j'avoue que ce que vous dîtes me parait (terriblement) juste. Tenez-vous une chronique dans un journal de votre région ? En tout cas, votre écriture est percutante...
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