19 Juin 2024
Ma chère Elise,
J’ai rejoint hier, pour un dépôt de gerbe à l’occasion de l’appel du 18 juin, l’équipe de campagne des candidats du nouveau front populaire à Evreux. Nous avons improvisé une Marseillaise avec beaucoup de conviction devant le monument départemental aux héros de la Résistance. Il m’est revenu, pendant que Timour Veyri disait quelques mots, que c’était Didier Laffeach, résistant lui-même et maire de Saint Sébastien de Morsent, qui m’avait présenté le dossier pour la construction de ce monument au tout début de notre majorité départementale. Je ne sais trop ce qu’il aurait pensé de la situation politique d’aujourd’hui. Je suis certain en tout cas qu’elle ne l’aurait pas laissé indifférent.
Nous nous sommes rendus ensuite à la cérémonie, plus formelle, organisée devant la mairie d’Evreux. Des discours graves. Le rappel de l’action d’un Général de Gaulle, d’abord bien isolé, puis centre de gravité de la résistance en France à la guerre terrifiante que menait en Europe un avatar particulièrement virulent du nationalisme.
C’est qu’il était très tendance, le nationalisme, à la fin du 19ème siècle et dans la première moitié du vingtième … Durant cet « Avant » qui était tellement mieux paraît-il, et dont les nostalgiques ne veulent voir que les dictées sans fautes, le bon sens que conférait le certificat d’études, les règles morales et de politesse, un patriotisme de bon aloi, une société stable où chacun acceptait de rester à sa place ou presque. Mais ces temps de nationalisme que teintent les nostalgiques de jolies couleurs pastel ont aussi engendré les guerres les plus terribles que l’on ait connues.
Et il ne peut en être autrement. Parce que dans un monde dont on sait que les ressources sont finies, et non pas infinies comme on a fait semblant de le penser à l’époque des empires coloniaux, dans un monde où les dérèglements climatiques rendront bientôt inhabitables de plus en plus de territoires, le repli nationaliste, cette espèce de chacun pour soi à l’échelle des nations ne peut à terme que conduire aux conflits. Et je m’inquiète, ma chère Elise, de ce surcroît de popularité que gagnent ces mouvements partout en Europe, au fur et à mesure des élections.
Alors on me dit – et on me le disait encore lors du pot offert hier par la mairie - , que l’extrême droite nationaliste aujourd’hui, ce n’est pas si grave, et qu’il est bien plus préoccupant que l’extrême gauche ait pris le leadership dans le nouveau front populaire. Et l'on finit par renvoyer dos à dos les extrêmes …
Mais ce sont pourtant deux mouvements qui n’ont rien à voir l’un avec l’autre. L’extrême droite a une histoire qui remonte à loin et prend ses racines, qu’elle le veuille ou non, dans les dérives nationalistes de la première moitié du vingtième siècle. La considérer comme similaire à la gauche radicale, que l’on qualifie alors d’extrême gauche pour les besoins d'une démonstration ou plutôt de propagande, relève de l’escroquerie intellectuelle.
Le programme du nouveau front populaire, se veut en rupture avec le libéralisme, à l'instar du programme commun des années 70 ou celui de François Mitterrand en 1981. Pas davantage et sans doute même beaucoup moins. En 1981, on nous promettait l’entrée des chars soviétiques à Paris si la gauche de Mitterrand, dont l'arc était aussi étendu que celui du nouveau front populaire, prenait le pouvoir. L’épouvantail qu’on nous brandit aujourd’hui, ce sont des hordes de sarrazins modernes, un Islam conquérant qui pourrait bientôt transformer nos cathédrales en mosquées.
Je déteste les campagnes électorales lorsqu’elles ne fonctionnent plus, calendrier et médiatisation obligent, qu’à coup d’invectives, de petites phrases et d’exagérations, et que les journalistes de l’information en boucle commentent comme une course de chevaux ou un match de foot.
Ce n’est pas cela la Démocratie ma chère Elise. Mais peut-être me diras-tu que je suis trop vieux jeu.
Bien à toi